
Au suivant !
Avec Marie-Hélène, en 3 ans, nous avons parfaitement réglé notre « procédure ménage ». On commence toujours par les chambres de l’étage, elles sont plus grandes, les garder pour la fin seraient complètement démoralisant car notre « motivation ménage » diminue d’un cran à chaque pièce terminée ! Dans une chambre, le rituel est toujours le même. Elle s’occupe de la salle de bains ; d’abord la douche puis le lavabo et enfin la cuvette des toilettes. Pendant ce temps je m’occupe de la chambre elle-même : défaire puis refaire le lit, installer les serviettes de toilettes, ranger les draps repassés. L’objectif est que nous soyons le plus possible en même temps dans la même chambre parce que c’est le moment privilégié des discussions, quelles soient d’ordre personnelle ou professionnelle. Si l’un de nous a de l’avance alors le rangement du petit-déjeuner et de la salle à manger dans son ensemble sert d’activité tampon pour nous resynchroniser. Une fois une pièce terminée, salle de bain et chambre, j’y passe l’aspirateur. Quand il ne me reste plus que l’aspirateur à passer dans la dernière chambre, Marie-Hélène commence à passer la serpillière dans toutes les chambres. Généralement on termine presque en même temps, avec une moyenne établie de 30 minutes par chambre tout compris !
Tout ça pour dire que ce rituel, très rodé, nous permet tous les jours de grands moments de discussion. On peut aborder le menu du soir, faire des blagues sur les clients, parler de nos enfants, affiner nos projets d’avenir, refaire le monde, tout est permis. Mais parfois on n’a plus rien à dire pendant quelques minutes, c’est alors le moment des grandes réflexions internes. Et les sujets sont tout autant cruciaux ! Tiens par exemple voici mes pensées de l’autre jour :
Lorsque l’on fait le ménage dans les chambres, l’ennemi numéro un c’est le poil ; cheveux, cils, ou poil de n’importe ou ailleurs (des endroits que l’on ne cite pas dans un blog aussi chic que celui-ci !). Le poil est la preuve presque vivante que quelqu’un a occupé la chambre avant vous, que vous n’êtes que le suivant. On vous pardonnera une toile d’araignée (« c’est la preuve d’une maison vivante »), mais un déchet resté au fond d’une poubelle – qui prouve que quelqu’un était là avant vous- et c’est le drame ! Alors, le poil, n’en parlons pas ! Non seulement il y avait quelqu’un ici avant vous mais en plus il a laissé derrière lui quelque chose de l’ordre de l’intime ! Et même si intellectuellement vous savez bien qu’il y a forcément eu un client avant vous, dans les faits vous préférez imaginer que vous êtes le premier à occuper cet espace.
Tous les suivants du monde devraient se donner la main
Voilà ce que la nuit je crie dans mon délire
Au suivant au suivant
Et quand je ne délire pas j’en arrive à me dire
Qu’il est plus humiliant d’être suivi que suivant
Au suivant au suivant
Un jour je me ferai cul-de-jatte ou bonne soeur ou pendu
Enfin un de ces machins où je ne serai jamais plus
Le suivant le suivant
C’est en fredonnant cette chanson de Brel que cette étrange révélation m’a sautée aux yeux. Je venais d’un coup de comprendre pourquoi, depuis le début de l’aventure, cette manière de faire le ménage propre au monde de l’hôtellerie ; cette manière d’effacer toute trace de passage plus que tout soucis d’hygiène, m’avait semblé innée. Ça ne pouvait pas être lié à ma vie domestique précédente car, Marie-Hélène pourra vous le confirmer sans soucis, je n’ai jamais été un foudre de guerre concernant le ménage de notre maison personnelle et en un mois de gestion de chambre d’hôte j’avais déjà probablement déjà fait plus de lits et aspiré plus de mètres carrés que dans tout le reste de ma vie ! Pas de quoi pavoiser… mais à l’évidence ce n’était pas là que j’avais compris que ma mission était « pas de goutte d’eau dans la douche » « rien dans la poubelle » « aucun poil d’aucune sorte » « tous les objets positionnés comme s’ils n’avaient jamais servi »…
Mais je jure que d’entendre cet adjudant de mes fesses
C’est des coups à vous faire des armées d’impuissants
Au suivant au suivant
Si mon service militaire ne m’aura pas servi à grand-chose, il m’aura au moins servi à cela : apprendre à faire le ménage d’une manière tout à fait appropriée pour une chambre d’hôte ! Comme quoi rien n’est jamais perdu !