
Bien répondre à un avis 2/2 – la règle de la cuillère
La semaine dernière je vous livrai un des secrets les mieux gardé de l’univers : « comment répondre à un avis négatif sur votre établissement ? ». Résumé de l’épisode précédent :
Règle numéro un : ne jamais répondre immédiatement sous le coup de la colère
Règle numéro deux : répondre à tous les avis, positifs comme négatifs
Et enfin, la règle numéro trois : mettre les gens positifs de son côté et avec eux les rieurs, les optimistes, les gentils, les amoureux de la vie et j’en passe. Et les autres ? Et bien les autres se sont justement les quidams que l’on n’a pas envie de voir venir chez nous car ce sont les futurs rédacteurs d’avis négatifs, les éternels insatisfaits, les messieurs premier degrés, les j-en-veux-pour-mon-argent-mais-je-veux-rien payer, les anorexiques du compliment, les hypocondriaques du plaisir, les bonnets de nuit de la rencontre bref ceux là sont très bien chez eux, ou chez un concurrent que l’on n’aime pas, mais pas chez nous…
Ok mais comment on fait ça ? C’est la que l’expérience de l’avis négatif compte ! Après c’est chacun sa technique. Voici la nôtre :
Dans un établissement comme l’Aupenade, et contrairement à ce qu’a tenté de vous faire croire le billet « dans l’enfer de l’Aupenade« , on ne passe pas un séjour cauchemardesque de bout en bout à chaque fois. Mais il est impossible de plaire à tout le monde, alors généralement quand problème il y a, cela vient d’un détail qui n’a pas plu du fait d’une sensibilité particulière. Un truc a coté duquel 100 clients sont passés sans soucis mais qui va exaspérer au plus au point le 101ème client. Prenez par exemple le gars qui va devoir manger son entrée et son dessert avec la même petite cuillère. Chez moi on n’a jamais changé de couvert en cours de repas, chez la plupart des gens pareil… mais ce gars là, ça lui est tout bonnement insupportable. Ca vous parait improbable ? Pourtant il est venu passer une nuit à l’Aupenade, c’est donc forcément vrai. Le gars, c’est un phobique de la petite cuillère à double usage. Une trace du goût de l’entrée dans son dessert et c’est sa vie qui bascule. Vous, vous n’avez rien vu mais lui à la fin du dessert il était au bord de la crise d’épilepsie ! C’est comme ça, ça ne se commande pas !
Bon, de retour à la maison, il va bien falloir qu’il vous fasse payer cette soirée en compagnie de Lucifer. Mais il sait bien que s’il vous met la note de 1/5 avec pour simple commentaire « j’ai du manger l’entrée et le dessert avec la même petite cuillère » il ne sera pas crédible, il sait bien que sa phobie il la partage avec très peu de personnes dans le monde, c’est une sorte de phobie orpheline. Alors il va falloir qu’il étoffe un peu, qu’il énumère une liste de mécontentements un peu plus longue et sérieuse au milieu de laquelle sa cuillérophobie passera inaperçue. Alors il va se plaindre de tout, vrai ou faux… pourquoi se soucier de la vérité puisque celui qui lira cet avis, par définition ne sera jamais venu chez nous et n’aura donc aucun moyen de démêler le vrai du faux ! Il va donc écrire que les quantités du repas étaient très limité et qu’il est sorti avec la faim au ventre (forcément il n’a pas mangé son dessert de peur de le souiller !), il va ajouter que l’ambiance était déplorable (dès qu’il a compris qu’on ne lui apporterait pas de nouvelle petite cuillère, le gars s’est enfermé dans une bulle autistique, Coluche en personne aurait pu s’inviter à table qu’il n’aurait pas esquissé un sourire !) et dans la foulée toutes les notes dans toutes les rubriques que lui propose tripadvisor vont se trouvées diminuées ; propreté des chambres, accessibilité du lieu même deviendront problématiques. Mais avant le clic final qui enverra définitivement son insatisfaction voyager sans fin sur les routes d’internet, le gars se dit qu’il y est allé un peu fort tout de même. A la base il avait juste un souci avec sa petite cuillère… alors il se dit qu’il faudrait tout de même mettre une toute petite touche de positif histoire de ne pas être responsable du suicide des gérants ! Alors il place son curseur au tout début de son avis fielleux et ajoute un discret « Le parc est vraiment magnifique mais »
Une fois que l’on est entré dans la tête du mécontent le travail est terminé ou presque : il suffit d’identifier d’une part le compliment -aussi minime soit-il – qui se cache dans l’avis et le « soucis racine » celui qui l’a fait basculer dans le choix de l’écriture d’un avis négatif. Le soucis racine se reconnaît assez facilement, il est généralement ridicule pris isolément. La réponse est ensuite un subtil mélange d’ironie, de second degré et de propos mielleux :
« Nous vous remercions d’avoir pris de votre temps précieux pour nous apporter vos conseils avisés. Tout d’abord nous sommes touchés que vous ayez apprécié le cadre naturel de notre établissement, nous y apportons un soin tout particulier. N’hésitez pas à revenir également au printemps, c’est un autre enchantement qui vous attend. A chaque saison l’Aupenade prend de nouvelles couleurs pour le plaisir de nos clients. Cela nous fait vraiment plaisir que vous ayez été sensible à la beauté des lieux, c’est notre meilleure récompense pour le travail que cela représente. Pour ce qui est du souci concernant votre cuillère, nous nous excusons de cette impardonnable inattention. Veuillez croire que nous serons dorénavant beaucoup vigilants au moment du dessert. En vous souhaitant de trouver un jour un établissement à la hauteur de vos légitimes exigences, amicalement, JeanMi. »
Mais puisque l’occasion m’en est donnée ici j’ai bien envie de faire voler en éclat ces 3 maudites règles et de vous livrer la réponse que je rêve d’écrire un jour :
« Tout un plat pour une petite cuillère ? Il faut vraiment vous faire soigner mon vieux. Si vous saviez vous servir de votre langue on vous en aurait apporté une autre sur simple demande et au passage on vous aurez resservi du rab de tous les plats jusqu’à temps que vous en étouffiez. Mais on ne l’a pas fait pour pas que vous vomissiez dans le parc… c’est vrai qu’il est joli ! »
Cher Jean-Mi et Marie, je lis toujours avec plaisir de vos nouvelles mais cette fois çi, c’est trop fort . Merci pour ce bon temps de franche rigolade . Ce fait du bien de vous lire et je suis sûr que vous passez aussi un joyeux moment à les rédiger .
Dommage que l’Aupenade soit si éloignée de Compiègne !
Je vous embrasse
Maurice