
Ca va banquer 1/2 – Case départ
Quand on se lance dans un projet de chambre d’hôte, il y a un passage obligé. Une formation de cuisine ? Le recrutement d’un personnel de ménage ? Le recourt à une décoratrice d’intérieure ? non rien de tout cela. A moins d’avoir reçu un gros héritage il y a peu, il va falloir passer par les banques !
Avec Marie-Hélène, au départ, on était assez peu inquiet de cette étape. Au moment du lancement de notre projet nous faisions clairement partie des privilégiés : traites de la maison qui se terminaient dans 6 mois, pas d’autre emprunt en cours, gros salaires, belle épargne disponible et situation de fonctionnaires ou presque. Sur le papier tout était au rendez-vous. Notre stratégie était simple ; une fois notre maison vendue en ajoutant nos économies nous avions de quoi payer le domaine et le fond de commerce. Il nous fallait donc juste un prêt relais, le temps que la maison se vende. Un agent immobilier était passé, il avait évalué la valeur de la maison puis avait diminué le prix car « vous comprenez avec la crise de l’immobilier même si votre maison vaut davantage elle ne se vendra pas à ce prix dans ce quartier. ». De leur côté les banques faisaient exactement le même raisonnement mais en partant du prix déjà décoté de l’agence immobilière : « vous comprenez avec la crise de l’immobilier même si votre maison vaut davantage elle ne se vendra pas à ce prix dans ce quartier. ». Il était donc question de nous proposer un prêt relais d’un montant de 70% du prix de mise en vente de la maison, lui-même représentant 80% de la valeur de la maison. Amis matheux, je vous fais gagner du temps, cela revenait à un prêt de 56% de la valeur de la maison, un super gros risque pour la banque : il aurait suffit que nous mettions en vente à ce prix là et elle aurait sûrement été vendue le lendemain ! Et puis le montant de ce prêt relais était de fait inférieur au montant total de notre épargne ; une couverture à 120% !
Et pourtant c’est là que l’enfer bancaire a commencé !
« Mais si votre maison ne se vend pas vous ferez comment ? » « Et puis vous n’aurez plus vos salaires de fonctionnaires pour rembourser ! » (Oui c’est un peu le principe lorsque l’on part créer une entreprise !) « En fait vous nous demandez un prêt relais pour pouvoir créer votre entreprise, les prêts relais sont réservés aux particuliers, je ne sais pas dans quel logiciel entrer votre demande, vous ne rentrez pas dans les cases ! » on comprendra plus tard qu’un projet « chambre d’hôte » rentre bien dans une case : la case « bohémiens qui pensent vivre de l’air du temps ». Les banques nous refoulaient une à une. Marie-Hélène était furieuse : « tu imagines ce qu’on nous dit à nous avec notre situation financière, tu imagines ce que dois entendre un gars qui veut devenir patron de sa boulangerie ? ». Chaque rendez-vous devenait de plus en plus tendu. Le schéma était toujours le même. Nous attendions un peu à l’accueil puis nous étions invités à entrer dans le petit local vitré du conseiller. Je devais aller très vite, analyser l’espace en un clin d’œil et agir ensuite de la manière la plus fluide possible pour que tout semble naturel.
La conseillère est assise à un bureau sur lequel trône très logiquement un ordinateur, celui qui, dans quelques minutes, n’aura pas de case pour nous. En face du bureau deux sièges destinés à nous recevoir. L’un d’eux fait clairement face au siège de l’employée, l’autre est placé de sorte que celui qui sera assis dessus sera en partie masqué aux yeux de la banquière par son ordinateur. Comme le monde de la banque traîne encore de lourds relents de société patriarcale héritée d’une époque où une épouse devait avoir la permission de son mari pour ouvrir un compte, j’ai été invité, contre toute règle de galanterie, à entrer le premier dans le bureau, de sorte que la logique voudrait que je m’asseye sur la place du fond, celle cachée par l’ordinateur, afin de permettre à Marie-Hélène d’entrer et de s’assoir aisément dans l’exigu local. Mais c’est justement ce qu’il faut éviter à tout prix ! A notre dernier rendez-vous ses derniers mots à l’adresse du conseiller bancaires ont été « avec un tel comportement, pas étonnant que la France soit bloquée ! ». Alors je fais un discret pas chassé sur le côté, pousse doucement Marie-Hélène par la taille dans un geste qui pourrait passer pour un excès de galanterie et la laisse s’assoir dans l’angle mort. Grace à cette ruse je gagnerais quelques minutes de sérénité pour tenter une manoeuvre de séduction bancaire, mais invariablement le résultat sera le même ; un problème de logiciel, de case, de supérieur qui est le seul habilité, bref, on vous recontactera… c’est une règle dans la banque le oui se dit en direct, le non se communique en différé ainsi est préservée l’intégrité physique du personnel…