
Du courage
Est-ce que finalement c’était du courage ? Je veux dire tout plaquer pour passer d’une vie rêvée à une vie de rêve ? En tout cas c’est ce que nous disent nos clients de soirs en soirs « vous avez eu du courage de faire ça, de tout quitter… » . Parfois je me dis que c’était probablement plus de l’inconscience que du courage… Le courage est une vertu qui permet d’entreprendre des choses difficiles en surmontant la peur. Mais nous n’avons jamais vraiment eu peur…
C’est prétentieux ? Je ne crois pas, il aurait fallu pour cela être conscient du danger et fanfaronner de ne pas en avoir peur. Mais nous n’avons jamais vraiment eu peur…
Nos familles, elles, ont eu peur, peur que l’on n’arrive plus à nourrir « leurs petits enfants », peur que tout cela soit trop fatiguant pour nous (nous les gens de la ville qui ne savions pas ce qu’était la fatigue « du temps jadis » la fatigue harassante des campagnes), peur de l’insécurité financière, peur d’une régression sociale, peur d’un éloignement… Mais nous n’avons jamais vraiment eu peur…
Portant nous aurions pu avoir peur. Si le projet échouait nous perdions toutes nos économies, s’il réussissait on se retrouvait avec un niveau de revenu divisé par cinq ! Nous aurions aussi avoir peur de perdre la confiance de nos enfants qui auraient pu nous reprochez ce déracinement loin des copains ! Nous aurions pu craindre de perdre tous nos amis car parfois les kilomètres font le tri pour vous entre relations et amis. Nous aurions pu redouter de vivre dans une nouvelle région dont nous ne connaissions ni le relief, ni le climat, ni les coutumes. Nous aurions pu trembler à l’éventualité de devoir revenir un jour d’où nous venions et avouer à tous notre échec… Mais nous n’avons jamais vraiment eu peur…
En fait si, nous avons eu peur; peur de ce que notre vie allait devenir si nous n’y changions rien ! Tout homme a deux vies, la seconde commence lorsqu’il se rend compte qu’il n’en n’a qu’une !
C’est l’entreprise dans laquelle je travaillais à l’époque qui m’a fait réaliser cette peur. Tout avait pourtant commencé comme une bonne nouvelle. Un jour mon supérieur hiérarchique m’avait annoncé que j’avais été détecté par l’entreprise comme cadre à potentiel. J’allais donc être propulsé dans le parcours de formation et de professionnalisation approprié pour faire partie -si tout se passait bien – des futurs cadres dirigeants de la noble institution ! Rien que ça ! Lorsque l’on rentre le soir avec une pareille nouvelle on a le melon qui a un peu gonflé et les chevilles avec… On se dit que c’est un honneur, que l’on est un cador et que le monde de l’industrie n’a qu’à bien se tenir dans quelques temps le patron ça sera moi !
Le fameux parcours commence par un « assessment center ». Comment ? vous ne savez pas ce que c’est ? Wikipédia est votre ami : « Un assessment center est une méthode qui évalue les compétences d’un candidat au travers de plusieurs outils psychométriques et par des mises en situation. Il vise à compléter les méthodes d’évaluation plus traditionnelles telles que l’entretien d’évaluation ou l’auto-évaluation et par ce fait, à améliorer la qualité des décisions RH. C’est notamment le cas en matière de recrutement et de gestion de carrière. » Autrement dit on vous met deux jours dans un bocal sous observations de consultants spécialisées et d’un psy et vous enchaînez entretiens, tests écrits, jeu de rôle, QCM et j’en passe et tout cela en interaction et/ou concurrence avec d’autres cadres à potentiels qui ont été détectés comme vous. Une bonne partie de rigolade quoi ! Le dernier jour de cet assessment center a probablement été le premier jour du reste de ma vie. Les mots du psy lors de l’entretien qui se voulait la synthèse de cette période d’observation résonnent encore : « Monsieur, je n’ai jamais vu quelqu’un avec aussi peu d’ambition que vous. Vous cherchez en permanence à équilibrer votre vie professionnelle, votre vie familiale et votre vie associative. Mais bientôt ça ne marchera plus. Il faudra choisir… »
« Il faudra choisir… »L’analyse était plus que pertinent et la conclusion inévitable « il faudra choisir »… Bien sur, il était évident pour l’entreprise que c’était elle que je devais choisir. Remettre mon avenir entièrement dans ses mains. Accepter toutes les mutations que l’on me proposerait, accepter que Marie-Hélène arrête de travailler pour gérer l’intendance et la famille, de toute façon « on vous payera pour deux » !
« Il faudra choisir », jamais on ne m’avait donné meilleur conseil. Et j’ai choisi. Je suis retourné voir mon chef et je lui ai demandé d’être retiré de ce parcours de cadre à potentiel, inutile que l’entreprise investisse à fonds perdus. Cela a peut-être été le seul acte courageux de l’histoire. A partir de maintenant j’allais reprendre ma vie en main et il n’était pas question que le boulot envahisse tout l’espace disponible ! Le chemin a été long, il a duré 3 ans, il y a eu beaucoup d’impasses, mais un jour le projet s’est dessiné, de façon clair et évidente. Parti d’un projet personnel, il a finalement embarqué Marie-Hélène et les enfants avec. Un chemin de 3 ans qui nous a conduit au Domaine de l’Aupenade… mais nous n’avons jamais vraiment eu peur…
Oui, il fallait oser mais ce n’était pas du courage, c’était le petit brin de folie qui fait de nos vies des pages vierges à écrire. Le courage c’est effectivement aller au delà de ses peurs… je n’aime pas qu’on me parle de courage car ca sous entend un soupcon d’héroisme et franchement, on était gaté par la vie par rapport à d’autres. Le courage, c’est quand on accueillera gracieusement des gens rejetés par ailleurs, des inconnus dans le besoin… Un jour, on sera prêt à le faire.