Du Rome, des femmes…

Gérant de chambres d’hôte, c’est un boulot où inévitablement reviennent régulièrement les mêmes gimmicks de la part des clients. Ce n’est pas forcément grave, ce n’est pas forcément gênant… enfin pas encore, ça ne fait pas assez longtemps que nous avons changé de vie pour être fatigués d’entendre souvent les mêmes ritournelles…

Par exemple, lorsque nous racontons tous les projets que nous avons en tête pour le domaine de l’Aupenade, généralement une expression vient à la bouche des clients qui pensent devoir nous rassurer : « Rome ne s’est pas faites en un jour ! ». Ils pourraient dire « Paris ne s’est pas faite en un jour » ou bien « petit à petit l’oiseau fait son nid »   ou pourquoi pas « tout vient à point à qui sait attendre » voir même « patience et longueur de temps font plus que force ni que rage». Mais non l’expression qui a la côte dans le monde feutré de la chambre d’hôte c’est « Rome ne s’est pas faite en un jour » beaucoup plus chic que sa version francisée de « Paris ne s’est pas faite en un jour » car bien plus fidèle à la locution latine d’origine ! C’est comme ça, le client de chambre d’hôte est cultivé !

Ceci dit ce n’était pas de cette expression récurrente que je voulais vous parler aujourd’hui. Avant de vous la livrer, je me dois de vous plonger dans l’atmosphère appropriée. Car pour qu’une expression donnée sorte à tous les coups il faut être dans l’ambiance appropriée, dans une ambiance précise qui ne pourra donner lieu qu’à une seule parole possible !

Le soir à la table d’hôte l’ambiance était chaleureuse. Chacun a pu se raconter un peu, nous comme eux y sommes allé de nos confidences, de nos convictions, de nos anecdotes. Nous leur avons expliqué doucement, à la manière d’Élisabeth, l’histoire de notre changement de vie. Plusieurs se sont pris à rêver d’un monde où les choses pourraient changer, d’un modèle alternatif de société où l’homme aurait un peu plus de place. Les estomacs se sont remplis, tout le monde a trouvé la cuisine excellente. Après la tisane planait une certaine indolence, c’est le moment que j’ai choisi pour sortir le digestif local. Les clients ne le savent pas, mais je ne le sors pas tous les soirs. C’est le signe d’une soirée réussie, d’une soirée qui nous rappelle pourquoi nous sommes là. Même après le digestif personne ne voulait aller se coucher, la discussion s’étire puis un à un tout le monde renonce à prolonger l’instant. Et puis « il faut se lever tôt car on a un gros programme de visite pour demain ». Le matin arrive et tous les comparses se retrouvent à la même table de petit-déjeuner. La discussion reprend là où elle avait été laissée la veille. Nous ne sommes pas là, mais cela fait longtemps qu’ils n’ont plus besoin de nous pour assurer l’animation. La matinée s’allonge, oubliés les programmes de visites ou les « on doit partir tôt », on veut encore profiter de l’instant. Quand il ne sera plus possible de reculer encore, ceux qui ne seront plus là le soir s’échangeront adresses et téléphone « et surtout si vous passez vers chez nous, vous vous arrêtez ! ». On se connaît depuis 24h mais on est déjà amis pour toujours, même si on sait déjà qu’on n’osera jamais s’arrêter un jour si on passe par là… Puis les partants du jour passent à notre bureau pour régler le solde de leur séjour. On papote encore, on se reparle de la soirée d’hier qui était si magique, de la voisine de droite qui avait quand même une sacrée vie, et de nous qui -à leurs dires- avons osé une sacrée aventure… le moment s’approche… on sait que la sentence va bientôt tomber… l’ambiance est précisément celle qu’il faut, on laisse venir et elle arrive : « Vous êtes vraiment fait pour ça ! ».

C’est un beau compliment, je le sais. C’est ce que nous voulions, une sorte de symbiose entre nous et le domaine, entre nous et la manière dont nous voulons gérer nos affaires. C’est une formule pleine de réciproque : vous êtes fait pour « ça », « ça » est fait pour vous, vous faites un tout indissociable. Alors on remercie, on se salue chaudement. Souvent, emportées par l’élan les femmes font la bise, on se promet qu’on reviendra voir la suite de nos nombreux projets, parfois le client ajoute un petit « et surtout ne changez rien ! » qui se marie si élégamment au « Vous êtes fait pour ça » car il ne faudrait rien briser de cet équation fragile…

Je les regarde partir, campé sur le pas de la porte, je suis ému… un peu… et rien de mieux qu’une pirouette pour sortir de l’instant… et puis j’aime les pirouettes… surtout si elles peuvent faire rire Marie-Hélène. Alors je me retourne vers elle et lui dit « ça c’est sur on est fait pour ça ! Faits pour faire le ménage, laver leurs draps, leur faire la bouffe et nettoyer leurs chiottes ! » Un petit clin d’œil par là-dessus et on peut retourner à nos activités. Ainsi va la vie…

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