En ce moment les roses trémières sont en fleurs

Comme toutes les vieilles bâtisses, l’Aupenade a ses fantômes. Il s’agit de ce que les gens qui sont passés ici ont laissé derrière eux. Chaque fois que l’on passe devant, on pense à eux, se sont les fantômes de l’Aupenade. Rassurez- vous, la plupart des gens qui nous ont laissé un fantôme sont bien vivants et se sont de gentils fantômes ! Certains sont des fantômes anonymes, généralement ceux de clients dont le nom s’est perdu sous le nombre. Il y a le fantôme de cette famille de 3 enfants, qui avait déplacé un des lits de la chambre familiale. Nous avons trouvé cette nouvelle configuration astucieuse et bien plus pratique, le lit n’a jamais plus bougé. Il y a ce petit miroir grossissant sur pied, oublié dans une salle de bain et qui se fond tellement bien dans le décor que nous avons décidé de lui offrir le logis à vie.

Mais beaucoup de fantômes vivent à l’extérieur et ont aussi un prénom et même parfois deux ! Il y a le fantôme de Romain et Nina, en fait il y a plein de fantômes de Romain et Nina à l’Aupenade ! Lorsque Marie-Hélène les avait rencontrés lors d’un chantier participatif, elle a vite compris qu’ils ne savaient pas encore où ils allaient poser leur camion-maison pour la prochaine étape de leur vie itinérante. L’invitation a été lancée et acceptée. Alors, contre gîte et couvert, Nina et Romain nous ont aidé pour plein de petits chantiers, et des chantiers il y en avait à la pelle car nous étions encore dans notre première année à l’Aupenade. Ainsi chaque fois que mon regard se pose sur les barrières en bois qui encerclent le parking, je pense à eux. Idem lorsque je vois cette énorme pierre que nous avions sortie ensemble -à quatre- du jardin et que nous avions posé juste à côté faute de force et de courage pour aller plus loin. A l’ombre d’un chêne, c’est depuis devenu un sympathique banc. Pas très loin de ce banc se reposent -parfaitement immobiles- deux elfes de jardin (c’est comme des nains de jardin mais en moins kitsch !). Curieusement notre petit couple de grès a été baptisé « Romain et Nina », ce qui fait de Romain et Nina les seuls fantômes de l’Aupenade a qui ont ait érigé une statue !

L’auge qui sert d’abreuvoir aux poules est le fantôme de mon frangin, le grand rosier rouge près du parking est celui de papa, le rondin de bois près du banc sous le magnolia est celui du grand-père de Marie-Hélène. Il l’avait posé là pour casser des noix au marteau, à l’ombre, mais sans rien perdre de la vie qui se déroulait autour de lui. Les grand-parents sont rentrés chez eux et le rondin est resté là. L’altéa près du poulailler est le fantôme de William et Martina. Celui de maman est mort, c’était un jeune lilas qui n’a pas passé son premier été, mais je sens bien qu’il essaiera de revenir un jour. Le fantôme de Paulo est invisible – comme tous les fantômes traditionnels me direz vous ! Paulo nous avait aidé à couper les arbres qui poussaient dans l’eau de l’étang. Il n’y a donc plus rien à voir pour se souvenir. Heureusement, nous avions laissé un morceau de tronc dépasser en nous disant que nous le couperions plus tard, ce que nous n’avons bien sur jamais fait… C’est ce morceau de bois hors de l’eau qui est devenu le fantôme de Paulo. Le fantôme de Catherine aura bientôt disparu. Elle nous avait aidé à débrouiller un coin de terrain … que la nature est en train de recoloniser au fil du temps… PE, Bedou et Alban ont aussi laissé plusieurs fantômes derrière eux. Le plus significatif est probablement le nettoyage poussé de la digue et celui là est trop précieux pour qu’on le laisse disparaître. C’est dans la bonde d’une des sources de l’étang qu’a élu domicile le fantôme de Thomas. Avec lui nous avions entièrement vidé et curé à la main et au seau le réservoir d’eau dans lequel se verse l’eau de la source avant de repartir dans l’étang. Une fois cet harassant travail terminé, nous avions mis au jour la bonde qui servait à vider l’eau sans effort…

Certains ont été malin est se sont débrouillés pour nous faire adopter un fantôme avant notre départ et n’ont jamais mis les pieds à l’Aupenade, ainsi en est il de ce plat à cake dont le motif est un « subtile » rébus du nom de famille des donateurs… la chose est tellement de mauvais goût que c’est un fantôme qui sent le renfermé, mais s’il est de sortie, l’effet est inévitable, nous pensons à eux !

Et puis il y a les fantômes de Caroline. Cela fait un an que Caroline n’est pas venue au Domaine… et elle n’y reviendra plus… Caroline et son mari Johnny étaient des vestiges de notre vie d’avant, parmi les rares personnes de la-bas avec lesquelles nous sommes resté en contact. En réalité ils étaient bien plus que de simples « contacts » presque des membres de la famille. Ils étaient les voisins que l’on s’était choisi, car si nous habitions bien la même rue, plusieurs maisons nous séparaient. Lorsque nous avons connu Caroline elle était en rémission de son premier cancer. Même si elle restait d’une santé fragile -elle avait quand même perdu un poumon dans la bataille- elle n’avait jamais perdue sa bonne humeur et son envie de croquer dans la vie. Souvent ils gardaient les enfants pour nous rendre service et les ont ainsi regardé grandir un peu comme les petits-enfants qu’ils n’avaient pas (encore). Un jour qu’ils en avaient la charge pour quelques heures, voilà qu’ils leurs racontent le dernier barbecue qu’ils avaient fait avec des amis. La réaction des enfants avaient été cinglante et sans appel : »quoi ? vous avez osé faire un barbecue sans nous ?!? ». Si chez nous les enfants jouent « aux voisins » plutôt qu’au « papa et la maman » c’est en référence à ces voisins là !

Lorsque Caroline avait de furieuses envies de shopping, elle commençait par faire un « vide grenier privé » histoire de faire de la place dans les placards et d’éviter de faire râler Johnny. Le principe était simple, elle étalait sur la table de salle à manger tous les objets qui l’encombraient, disposait quelques caisses ou cartons où nous pouvions ranger tout ce qui nous intéressait et tout ce qui restait partait à la poubelle. C’est comme cela que le Domaine de l’Aupenade a commencé à être parsemé de fantômes de Caroline.

Lorsque nous avons décidé de tout laisser derrière nous et partir à l’Aupenade, l’année scolaire n’était pas terminée. Notre aîné nous a demandé de terminer son année scolaire dans son collège sans déménager. La demande était acceptable, restait à régler l’aspect pratique : nous pensions que c’était chez Caroline et Johnny qu’il serait le mieux mais n’osions pas faire une telle demande. Lorsque nous leur avons parlé de cela c’est spontanément et immédiatement qu’ils ont proposé de le garder en « pension » jusqu’à la fin de l’année scolaire. A peine avons nous eu le droit de les indemniser de sa nourriture !

Nous sommes partis peu de temps après que la maladie ne revienne. Mais le moral de Caroline, entre deux chimiothérapies, restait incroyablement optimiste. Je me souviens du jour où Caroline nous a raconté pourquoi elle avait si mal au dos : « j’ai voulu déplier le clic-clac pour accueillir ma fille. J’ai commencé à faire la manoeuvre, ça a fait clic et puis c’est mon dos qui a fait clac ! ». Les séquelles ont duré des mois et pendant des mois elle a ri de cette histoire. Chaque fois que je déplie le clic-clac de la chambre d’hôte familiale je pense à elle « ça a fait clic et puis c’est mon dos qui a fait clac ! »; le fantôme de Caroline fait un petit cliquetis …

Lorsqu’il y a un an Caroline est revenue nous voir à l’Aupenade, elle savait probablement que c’était sa dernière visite. Comme une dernière espièglerie elle avait mis des graines de fleurs de chez elle dans le fond de ses poches et les a semé au vent un peu au hasard à l’Aupenade, sans rien nous dire.

 

En ce moment les roses trémières sont en fleurs…

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