Excel ange

Vous savez comment on reconnaît une idée évidente dans un couple ? C’est une idée que chacun des deux est persuadé d’avoir eu le premier ! Bon, avoir la primauté d’une idée ça ne sert pas à grand-chose, mais quand on est deux à l’avoir, c’est génial. Ça veut dire qu’on est prêt à mettre plein d’énergie à la réaliser, prêt à faire des sacrifices s’il en faut, sans avoir peur de s’entendre dire un jour qu’on a entraîné l’autre dans une sacrée galère avec notre idée à la noix ! Ça lève d’un seul coup tous les freins !

 

Bref, avec Marie-Hélène nous sommes revenus tous les deux de notre bout de périple pédestre sur le chemin de Compostelle, il y a maintenant 4 ans, avec cette impression tenace que l’idée venait de nous et qu’il faudrait la jouer fine pour faire avaler la pilule à l’autre. Parce que c’était quand même un sacré morceau à avaler ! L’idée c’était quand même de tout laisser derrière nous et de partir loin pour gérer des chambres d’hôte ! Alors si on emmenait tout le monde dans une impasse, on en entendrait parler tout le reste de notre vie… Un truc à finir en divorce… De fait, les premiers jours après notre retour, on n’a plus parlé de rien. Chacun murissait son plan de com en secret. De temps en temps une allusion ressortait « Tiens j’ai appelé une CCI pour voir comment ça peut se faire ce genre de projet, au cas où… » « Hier j’ai regardé sur interne le prix de l’immobilier dans le sud-ouest, juste pour avoir une idée des prix… » « Au fait, tu savais que si on additionne tous nos livrets d’épargne ça fait une belle somme ? » « Tu crois qu’elle vaut combien notre maison ? ». Mais à chaque fois le sujet se refermait très vite, par prudence de l’un comme de l’autre. Ne pas avancer trop vite, un pas, puis un autre, être sûr que l’autre sera vraiment partant avant de trop se dévoiler…

Puis à la mi-août, nous sommes partis 15 jours en vacances avec les enfants à Saint Brévin les Pins. Je ne sais pas si vous vous souvenez de la météo de l’été 2014, mais je peux vous dire qu’à Saint Brévin les Pins, on avait du mal à distinguer les pins derrière le rideau de pluie. Alors nous avons beaucoup fait de jeux de société, nous avons usé le dictionnaire à force de parties de scrabble. Et nous avons beaucoup discuté ! Et à force de tourner autour du plat nous avons fini par mettre les pieds dedans ! Et qu’avons-nous découvert dans ce plat ? Que nous étions tous les deux chauds bouillants pour ce changement de vie ! Bien sûr nous avons fait semblant de nous chamailler pour savoir qui avait eu l’idée en premier -vaines discussions puisque c’est moi- mais nous nous sommes surtout mis à rêver dans tous les sens puis à tout remettre dans l’ordre ; les conseils de la CCI, les prix de l’immobilier, la façon de monter une entreprise, le budget disponible, le timing que nous envisagions et surtout le genre de lieu qui nous faisait rêver.

En retournant au travail la dernière semaine d’aout, il était complètement impossible pour moi d’avoir la tête au boulot ! Il y avait trop de sujets à traiter ! Et comme mon chef n’était pas encore revenu de vacances, je dois bien avouer que j’ai passé toutes mes journées à naviguer sur internet à la recherche de la propriété idéale pour notre projet. Le vendredi soir, une cinquante de propriétés à vendre s’alignaient dans un fichier Excel. Avec Marie-Hélène nous nous sommes mis d’accord sur les critères qui étaient importants pour chacun de nous : dans le sud-ouest mais ni à la mer ni à la montagne, dans un endroit accessible pour nos familles mais au soleil tout de même, pas trop loin de la ville et des centres d’études (pas question que les enfants soient obligés d’aller à l’internat dès le collège comme c’est parfois le cas en rase campagne, le projet était familiale avant tout !), avec des chambres d’hôte déjà rénovées mais aussi des bâtiments à rénover plus tard à notre manière, avec du terrain pour un jardin et un verger, avec une maison assez grande pour nous six et bien sûr tout cela dans un prix concordant avec notre budget ! Nous avons mis tout cela dans le fichier Excel, une colonne par critère et nous avons commencé à mettre des croix. A la fin, sur cinquante propriétés, une seule avait des croix dans toutes les colonnes, c’était le domaine de l’Aupenade ! Nous avons appelé les propriétaires dans la foulé, nous étions même prêts à prendre immédiatement la route. Mais les propriétaires ont un peu calmé notre ardeur en nous indiquant qu’il serait plus judicieux d’arriver le lendemain, en plein jour ! Rendez-vous a été pris pour 14h le lendemain. Ce petit délai était juste ce qu’il nous fallait pour régler quelques basses contingences matérielles que nous avions un peu négligées dans l’élan, comme trouver un mode de garde pour les enfants ! Parce qu’à ce stade aucun n’était au courant, nous voulions leur présenter un projet crédible et pensions être partis pour des mois de recherche du lieu idéal…

Le lendemain nous voici donc partis sur les routes, direction plein sud, non sans avoir fait une halte chez des amis pour y propulser les enfants. Ce sont eux qui ont été les premiers au courant de ce que nous fomentions ! Vers 12h30 nous étions en approche, bien trop en avance ! Mais c’était l’occasion de faire un saut dans une des deux villes à un quart d’heure de la propriété pour y manger. Après deux kilomètres à rouler dans la ville nous nous disons que nous ne devons plus être très loin du centre-ville et nous garons. Il y a bien des boutiques dans ce qui ressemble à la rue commerçante principale de la ville, mais une sur deux semble abandonnée. Nous entrons dans un café qui affiche un menu en devanture et demandons si nous pouvons manger « Non, ici on ne sert que les commerçants de la rue ». Gloups… Nous continuons encore une bonne centaine de mètre et finissons par trouver une pizzeria prête à nous servir. Ouf ! Une bonne partie du repas sera passé à regarder sur le smartphone ce qui se dit de cette ville et de l’autre, à un quart d’heure aussi mais de l’autre coté de la propriété. On se rassure comme on peut mais on se demande quand même où on est tombé…

Puis vient le temps de la visite. La propriétaire, Thérésa, est charmante, prend vraiment le temps de la visite. Mais la maison est encore habitée et il y a des clients qui séjournent dans plusieurs chambres. Difficile de bien regarder bien -nous ne nous rendrons compte que le jour de notre emménagement qu’il n’y avait finalement pas de chauffage à l’étage-. Nous finissons par nous assoir à la table de la cuisine et sortons le cahier sur lequel nous avons noté à l’avance toutes nos questions pour être sûr de ne rien oublier. Thérésa répond patiemment à tout et très en détail. Elle nous donne le nom d’artisans de confiance dans le secteur pour nos futures rénovations et nous promet de nous envoyer ses 8 années de compta par mail dès que possible. Nous restons plus d’une heure attablés à écouter ses réponses. Dans le flot de la discussion elle nous glisse un conseil « il faudra bien faire attention à la répartition des tâches entre vous » Nous sentons comme un lourd secret derrière ses paroles. Nous comprendrons plus tard que c’est probablement ce qui a précipité la fin de l’affaire qu’elle gérait avec son mari. Après leur déménagement ils ne repartiront pas dans une mais dans deux maisons séparées. Nous allons devoir faire attention si nous ne voulons pas y laisser notre mariage… Par quelques allusions Thérésa nous fait comprendre qu’il y a déjà eu des visites et nous presse un peu de réfléchir au plus vite. Nous avons fait des tonnes de photos, nous allons pouvoir regarder tout cela la tête froide à la maison.

Avant de partir nous décidons de faire un tour dans l’autre ville. C’est un peu un coup de poker, si l’ambiance est aussi plombée que ce midi, la propriété aura beau être appropriée ça sera difficile de s’installer ici ! Dans la voiture l’ambiance est plutôt fraîche. On veut être rationnel, ne pas s’emballer. Oui la propriété convient à notre projet mais nous n’en avons vu qu’une. Marie-Hélène sait que je suis comme ça. A 23 ans je suis sorti avec une fille pour la première fois de ma vie, elle s’appelait Marie-Hélène. J’ai échangé avec elle mon tout premier baisé, nous nous sommes mariés et nous avons eu quatre enfants. Pas de test comparatif, pas de délai de rétractation, la première serait la bonne parce que si l’amour est là, il est là… plus de vingt ans que ça dure. Alors moi j’étais bien capable d’acheter un domaine de plus de 2 ha pour y refaire ma vie après une semaine de recherche e une seule visite ! Mais Marie-Hélène ne fonctionne pas comme ça. Et puis il fallait voir cette ville avant… C’est amusant de se souvenir aujourd’hui que ce qui nous a séduit et rassuré à l époque c’était qu’il y avait une vraie zone commerciale en périphérie avec MacDo, ciné, hypermarchés et tout le tintouin. Aujourd’hui notre challenge est surtout de ne plus y mettre les pieds ! Et nous y arrivons plutôt bien !

Le chemin du retour durait plus de cinq heures, largement de quoi discuter en profondeur et décider. A la fin d voyage, nous étions d’accord pour acheter le Domaine de l’Aupenade. Mais en habiles négociateurs, il était évident pour nous que nous ne devions pas montrer trop d’empressement à Thérésa. Nous étions samedi soir. Le dimanche est passé à ronger notre frein. Mais dès le lundi nous n’y tenions plus et avons envoyé une proposition écrite avec un montant à peine négocié. Acceptation directe des propriétaires, à la condition expresse que nous acceptions de signer un compromis de vente sans close suspensive d’obtention du crédit. En une semaine nous avions trouvé notre futur lieu de vie !

 

Lorsque nous racontons à nos clients la manière dont nous avons acheté cet endroit, en n’en visitant qu’un seul, tous ont la même conclusion « Alors c’était un coup de cœur ! ». Mais ce n’était pas un coup de cœur, c’était un coup de raison, un truc sorti d’une formule Excel, une démarche d’ingénieur comme je les aime ! Mais chaque jour qui passe ici nous montre comment ce jour-là notre ange gardien était avec nous pour nous emmener au bon endroit !

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