
Il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour
Certains l’annoncent d’entrée pour éviter tout malentendu : « Moi je suis sourd d’une oreille, je vais m’asseoir de ce coté là à table sinon je n’entendrais pas ce que vous dites ! ».
Pour d’autres c’est un conjoint qui nous préviendra tout bas, comme s’il nous faisait un aveu coupable : « mon mari a fait un AVC il y a quelques mois, il est très diminué depuis, ne vous inquiétez pas s’il vous semble parfois ailleurs ». Alors on ne s’inquiète pas. Et on fait bien attention de faciliter au mieux les choses, sans en faire trop, mais avec la prévenance qui convient à chaque cas. Et puis c’est une confidence que l’on nous a fait, alors on fait en sorte que les autres convives s’en rendent compte le moins possible.
Mais parfois on ne nous dit rien. Bien sur si l’on avait été moins nombreux, si nous avions dîner en tête à tête avec ce couple, probablement aurait-il fini par nous raconter son intimité, cette maladie qui ronge petit à petit et qui complique tant la vie avec le temps qui avance. On nous a fait si souvent ces confidences. Elles sont parfois plus faciles lorsque l’on ne se connaît pas, lorsque l’on ne se jugent pas. Cela fait du bien et c’est sans conséquence puisque demain nous ne nous reverrons plus. Il est étonnant de voir la facilité avec laquelle on peut raconter à des inconnus des choses que l’on a jamais osé dire à ses proches. Mais ce soir là, nous étions sûrement trop nombreux pour une confidence publique et la pudeur à peut-être empêché une phrase d’explication murmurée à l’oreille avant de passer à table. Et puis il s’agit aussi de préserver son conjoint. Tout est fait pour lui faire oublier cette maudite maladie, pour que ses conséquences soient le plus possible amoindries au quotidien pour pouvoir faire comme si tout était comme avant, avant que l’accident ou la maladie n’arrive.
Mais petit à petit au fil du repas avec Marie-Hélène, on voit bien que quelque-chose cloche. Personne ne semble avoir rien remarqué mais nous, on commence a avoir l’expérience de ces situations. C’est une question qui revient quelques minutes après avoir déjà été posée, c’est un tremblement de la main que le conjoint essaie discrètement de calmer en mettant la sienne par dessus, c’est une parole un peu surréaliste qui sort de nulle part, c’est un mari qui finit les phrases de sa femme parce que les mots semblent s’être envolés trop loin. C’est un hôte qui vide tout le plateau de fromage dans son assiette puis le regard un peu ahuri, se demande ce qu’il vient de faire.
C’est émouvant parce que lorsque qu’Alzheimer arrive, ou Parkinson ou tout autre maladie qui vous prive discrètement d’une part de votre autonomie, il y a toujours quelqu’un qui voyage avec vous, un conjoint le plus souvent. Et ce conjoint va souvent essayer que le halo de bienveillance dont il entoure le malade finisse par masquer aux autres la maladie. Mais si l’on s’approche, on peut le palper ce halo, on peut sentir l’amour dont il est tissé. On se demande un instant ce que l’on devrait faire pour aider cet homme à boire sans que le contenu entier de son verre ne finisse sur la table avant d’atteindre ses lèvres mais avant que nous n’ayons le temps de nous poser plus de questions, sa femme a déjà entouré ses mains des siennes avec tellement discrétion et lever le verre avec tellement d’efficacité qu’il n’y a plus grand chose à faire. Et personne ne semble pourtant avoir remarqué ce qu’il vient de se passer : Parkinson 0 – la Vie 1 !