
Jacques Caddie ne faites rien !
Dans l’idéal, il ne faudrait plus mettre les pieds dans les grandes surfaces. Mais admettons que vous n’ayez plus le choix, le placard est vide, vous avez raté le marché, la Biocoop est fermée entre midi et deux, votre voisin n’est pas là pour vous prêter le moindre gramme de farine et les enfants menacent de fuguer si vous ne faites pas des crêtes pour la chandeleur, et la chandeleur c’est maintenant !
Bref vous vous retrouvez sur le parking du supermarché le plus proche. Même si les enfants hurlent dans la voiture, prenez le temps de rester devant un des petits hangars à caddies qui parsèment le lieu. Il y a toujours deux ou trois files de caddies imbriqués les uns dans les autres par de petites chainettes que vous ne pourrez libérer qu’avec le jeton approprié. Maintenant regardez comment les gens choisissent la file dans laquelle ils vont ranger leur caddie avant de repartir. Tant que les trois files restent à peut prêt équilibrées, les caddies vont se répartir un peu partout, un coup à droite, un coup au milieu, un coup à gauche. Et puis, par hasard, deux clients de suite vont ranger leur chariot à surconsommation dans la même file. Et là, c’est l’effet papillon, le début d’une réaction chaotique. A partir de ce moment-là, une file va être visiblement un peu plus longue que les autres et les gens la choisiront de façon préférentielle pour ranger leur déversoir à produits ultra-transformés. Et le phénomène deviendra de plus en plus inéluctable car plus cette file sera longue moins ses voisines seront accessibles. Très vite la file débordera de son hangar et pourtant tout le monde continuera de l’alimenter, cela finira par gêner la circulation mais peu importe, c’est tellement plus pratique. Et puis « c’est pas moi qu’a commencé ! ». Mais très vite le gérant devra envoyer un salarié pour répartir ailleurs ces objets du capitalisme effréné car en plus de cela, comme personne ne range son caddie dans le même hangar que celui dans lequel il l’a pris en début de course, une pénurie grave peut rapidement s’installer dans une zone du parking !
Si vous avez déjà observé ce phénomène, vous vous êtes peut-être dit, pour vous donner bonne conscience, que ce n’était pas si grave puisque finalement cela créait de l’emploi et l’emploi c’est bon pour l’économie. Alors disons-le clairement, souhaiteriez-vous que votre gamin devienne un jour « manutentionnaire en caddie », passant sa journée à remettre au bon endroit des petits chariots a roulette que d’autres n’auraient pas eu la civilité de ranger correctement ? Et puis ne rêvez pas aucun directeur de supermarché n’embauche d’employer juste pour ranger les caddies ! C’est généralement un employé déjà là pour autre chose qui va devoir faire un peu plus rapidement ce qui l’occupait habituellement pour ajouter cette nouvelle tâche passionnante à un emploi du temps déjà bien rempli d’activités délectables…
Bon normalement à ce stade vous devriez me dire que vous ne voyez pas le rapport avec le monde des chambres d’hôte en général et le Domaine de l’Aupenade en particulier. Et pourtant, tel le caddie mal rangé je finis toujours par retomber au bon endroit !
Pour nous faciliter la vie dans les toilettes de nos chambres d’hôte nous n’avons mis que des dévidoirs doubles pour le papier toilette. Un dévidoir double, comme son nom l’indique, permet de mettre à disposition deux rouleaux du précieux papier en même temps. L’idée est que quand un rouleau est terminé, le client attaque le second sans que nous n’ayons a intervenir. Ainsi il n’y a jamais de rupture de stock un peu gênante. Tout est ici étudié, c’est scientifique, sauf à consommer plus d’un rouleau par jour il est techniquement impossible d’être au bout du rouleau… et pourtant … Parce que les mêmes personnes qui ne font pas attention à l’équilibre des files de caddies prennent un malin plaisir à maintenir une stricte égalité de traitement entre les deux rouleaux de papier toilette à leur porté. Une feuille à gauche, une feuille à droite, pas de jaloux. Et à la fin l’effet escompté est totalement annihilé, les deux rouleaux tombent en rupture au même moment. Et je suis sûr que si nous disposions trois rouleaux, l’équilibre se produirait sur les trois à la fois et rien ne serait réglé !
Pourtant je sais bien que nos clients ne pensent pas à mal lorsqu’ils font cela. Bien au contraire ils s’imaginent peut-être dans un raisonnement un peu tordu, que grâce à cela ils nous évitent la peine d’avoir à remplacer trop souvent les rouleaux. L’enfer est pavé de bonnes intentions.
Parce qu’au final, nos clients, ils veulent plutôt être sympa avec nous. La chambre d’hôte c’est un peu comme à la maison, alors ils veulent filer un coup de main, comme on ferait chez des amis en les aidant à débarrasser la table après le repas. C’est vraiment sympa… et la plupart du temps ça nous donne beaucoup de boulot en plus !
Par exemple : en quittant la chambre ils voudront défaire les lits et nous faire un joli tas de linge prêt à laver. Mais pris dans leur élan ils dépiautent tout : les draps, les housses de couettes, les protections de matelas… chez vous, vous lavez les protections de matelas tous les jours ? Ba nous non plus ! Alors on rehousse ! Au petit déjeuner, un couple s’est mis à faire sa vaisselle à la main dans l’évier ? s’il est le premier à avoir déjeuné vous pouvez être sûr que tous les suivants feront de même, se disant que ça doit être l’usage ici. Nous nous retrouvons donc avec un tas de vaisselle à sécher au bord de l’évier. Et là il nous reste deux choix : tout essuyer à la main, ce qui sera bien plus long que si nous l’avions juste mise au lave-vaisselle ou bien remettre cette vaisselle propre au lave-vaisselle pour la sécher puisque de toute façon il y a d’autre vaisselle sale restée sur la table, ce qui n’est pas extraordinaire en matière de gestion de l’eau ! Et puis avant de partir le client va nous ramener au bureau la clé de sa chambre, même si un petit écriteau lui dit de s’épargner cette peine. Mais pour nous aider il veut bien s’en donner un peu de la peine. Alors il le fait quand même, juste pour rendre service. Comme ça dès qu’il sera parti nous pourrons la ramener tout de suite d’où elle vient pour être sûr de ne pas oublier de la mettre à disposition du prochain client. Encore quelques pas bien inutiles.
Mes chers clients, vous êtes ici en vacances, profitez ! Nous on s’occupe du reste !