Le mystère du coussin rouge

Il y avait autrefois une auberge qui, profitant de la nuit et du sommeil de ses clients, dépouillait les voyageurs puis enterrait les corps au fond du jardin. C’était l’auberge rouge… c’est une vieille histoire, qui a donné un film célèbre, mais c’est aussi un mythe dans le monde de l’hébergement… on ne sait pas si cette auberge a vraiment existé, mais on s’en parle tout bas le soir à la table d’hôte, histoire de se donner la chair de poule ! Si on n’est certain de rien pour cette auberge rouge, il y a en revanche une autre histoire bien réelle que je peux vous raconter ; celle des coussins rouges !

Le téléphone sonne, Marie-Hélène décroche et susurre son habituel « Domaine de l’Aupenade bonjour ? ». A l’autre bout, c’est le Domaine du Chevreuil, une chambre d’hôte de la ville d’à côté. « Vous avez ce soir chez vous deux personnes qui viennent de passer une nuit chez moi. Je voulais vous prévenir, ils vont vous faire plein de gnangnangnan, vous allez devoir beaucoup vous occuper d’eux, mais ce matin ils sont partis de chez moi en me volant deux beaux coussins rouges que j’avais payés 70€ chacun ! Je n’ose pas les appeler pour leur demander de me rendre les coussins, j’ai peur qu’ils m’accusent de les traiter de voleurs et qu’ils me mettent un mauvais avis sur Tripadvisor. ».

Je ne sais pas si nos clients soupçonnent cela, mais il existe implicitement une certaine solidarité entre hébergeurs, un genre de corporatisme de la chambre d’hôte. Il y a même un endroit où ce n’est plus implicite mais très explicite ; le chemin de Compostelle. Tous les hébergeurs du chemin participent à un réseau d’alerte pour se prévenir de voyageurs indélicats sur leur secteur. Le cas le plus fréquent, c’est le pèlerin qui veut être sûr de trouver un logement le soir mais qui ne sait pas encore exactement jusqu’où il aura marché le soir. Alors le matin il réserve une chambre dans chaque village où il est susceptible d’arriver. Une fois sa journée terminée un hébergement l’attend bien au bon endroit mais plusieurs autres chambres ont été réservées pour rien et ont peut-être manqué à un autre pèlerin, sans parler du manque à gagner pour l’hébergeur. C’est là que le réseau d’alerte entre en jeu. Le nom et le signalement du marcheur est donné à tous et celui-ci est sûr de ne plus trouver nulle part où réserver !

Bref, nous voilà prévenus par le cartel des hébergeurs de ce coin du centre de la France ; nous allons recevoir ce soir des cleptomanes ! Marie-Hélène est en ébullition. Nous hésitons entre deux stratégies : retirer tous les petits objets facilement dérobables de la chambre pour éviter les tentations ou bien au contraire tout laisser et vérifier discrètement la chambre au moment ou ils seront au bureau pour payer et tenter ainsi le flagrant délit. Nous sommes joueurs, la seconde stratégie l’emporte. On se dit même qu’on parviendra peut-être au passage à remettre la main sur les deux coussins rouges et avoir notre statut au Domaine du Chevreuil !

Nos hôtes arrivent, nous sommes sur les dents, l’accueil est presque froid pour qui nous connaît. La dame veut tout prendre en photo et aller dans d’autres pièces que sa chambre Elle nous dit être sous le charme du lieu et veut montrer tout ça à des amis qui seraient susceptible de venir ici en vacances…c’est louche… et pourtant on a du mal à se dire que cette brave dame va nous dépouiller en partant. Sa voiture est toute petite, mais surtout… il s’agit probablement de la cliente la plus âgée que nous n’ayons jamais eu au Domaine, une des deux personnes ne peut se déplacer qu’à l’aide d’un déambulateur ! Au moins si on doit se lancer dans une course poursuite, elle ne devrait pas durer trop longtemps !

En fin d’après-midi, alors que nous passons notre temps à surveiller discrètement notre présumée coupable, le téléphone sonne à nouveau. C’est le Domaine du Chevreuil qui nous annonce que le mystère des coussins rouges a été élucidé. N’y tenant plus l’hébergeur a pris son courage a deux mains pour appeler notre cliente (des coussins d’une telle valeur ça motive 😉 ). Et le pot-aux-roses a été dévoilé : les coussins étaient « cachés » entre le sommier et le matelas pour surélever légèrement ce dernier et faciliter la circulation sanguine dans les jambes pendant le sommeil…

Le soir en table d’hôte, la dame reviendra spontanément sur cette histoire. Nous faisons bien sur semblant de tout découvrir. C’est la seconde fois qu’un hébergeur la rappelle pour retrouver coussins ou oreillers. Elle a encore oublié de remettre les coussins en place avant son départ, elle est désolée… combien de fois la même mésaventure s’est elle reproduite sans que les hébergeurs n’osent appeler ? Au moment où elle part dans sa chambre nous lui donnons deux oreillers supplémentaires en précisant amusés « et si on ne les revoit pas demain matin, on saura où ils sont ! »

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