
Le Ying, le Yang et autres TVA
Les années à l’Aupenade sont bien rythmées. Elles se suivent et se ressemblent. Lorsqu’arrive novembre, c’est compta ! A nos débuts, le comptable nous avait donné ce conseil : « c’est en fin de saison touristique que votre bilan aura la meilleure allure, faites donc votre clôture comptable à fin octobre ». Le conseil était judicieux, aussi bien pour lui puisque cela lui évite d’avoir à le gérer en janvier en même temps que la majorité des bilans de ses clients et pour nous car en novembre les clients se font rares. On a donc du temps pour se pencher sur ce sujet délicat, qui demande force calme et concentration !
La compta, vue de loin, c’est un curieux mélange de parcours d’obstacle et de jeux de piste, le genre de truc où Marie-Hélène n’aventure jamais une oreille. Un truc qui vous habite tout au long de l’année en prévision du grand saut, celui où vous allez plonger dans fatras de factures de ventes et d’achats laissées à l’abandon depuis 12 mois. Dans sa vie d’avant, Marié-Hélène était institutrice, le genre de métier qui vous habite aussi tout au long de l’année ; pendant que vous êtes en vacances en train de visiter Carcassonne, elle, elle est en train de se dire qu’il y aura un super truc à faire là-dessus quand elle parlera du moyen-âge avec ses élèves. Lorsque vous êtes à la maison, vous avez interdiction de jeter les rouleaux de PQ vides, les pots de yaourt en verre et tout un tas de truc qui pourront servir un jour. Bref c’est un métier qui vous habite en continu. Et bien la compta c’est pareil !
Imaginez : nous sommes tous les deux avec Marie-Hélène en train de faire des courses à la Biocoop. Dans le panier une salade, quelques grammes d’agar-agar en vrac, un sachet de sésame et un paquet de tisanes, quand soudain Marie-Hélène passe devant une magnifique brosse à légume en poil de je ne sais pas quel porc-épic. Sa main s’avance vers la brosse et s’en saisit au prétexte que « il est grand temps d’apprendre à se passer des éponges synthétiques en pétrole ! ». Mais moi ce n’est pas une brosse que je vois atterrir dans sa main, mais deux lignes supplémentaires de compta à saisir, parce que la bouffe c’est 5.5% de TVA mais que sa brosse c’est du 20%. Pourtant elle ne s’est rendu compte de rien et la brosse finit dans le panier. Si le monde était dirigé par des comptables, il y aurait sûrement des magasins distincts par taux de TVA ! Bienvenue chez Super5.5%, grandes promos chez Hyper10%, tout ce qu’il vous faut chez Méga20% !
Et quand je dis que je vis compta, j’exagère à peine ! Un geste sympathique d’un client peut se transformer en enfer comptable. Vous êtes au moment fatidique de la présentation de la facture finale. La note est de 118.40€ et le client vous sort une liasse de chèques vacances de 10€. Il en compte laborieusement 12, vous les tend avec un grand sourire et ajoute « gardez tout, ça paiera les frais de commission de l’ANCV ! ». Alors bien sur je remercie, vous pensez, un pourboire de 1.60€ ! Un pourboire qui va encore générer des lignes de compta supplémentaire ! Parce que la compta est un art qui se repose sur un grand principe de l’univers : tout doit s’équilibre ! Si vous avez une facture de 118.40€ vous devez enregistrer une recette de 118.40€, sinon le grand équilibre est rompu ! Les plus doivent compenser les moins, rien ne peut se créer de rien. C’est d’ailleurs la grande différence entre la comptabilité et la finance qui, elle, arrive à créer de l’argent à partir de rien ou à en faire disparaître de la même manière !
Tenez, prenez la TVA. La TVA c’est un impôt qui s’applique sur le prix de vente d’un truc. Si vous vendez ce truc, le raisonnement théorique c’est de partir du montant que vous aimeriez vous mettre dans la poche en vendant ce truc puis d’y ajouter par exemple 20% s’il est soumis à ce taux de TVA. Mais dans la vraie vie ça ne marche pas forcément comme cela. Comme le vendeur veut des prix qui sonnent bien -genre 9.90€ et pas 9.97€- il part plutôt du prix de vente au client du truc en question et calcule a postériori le montant de TVA qu’il faut pour arriver à ce prix. Mais les maths sont capricieuses. Prenons un exemple : je veux vendre ma nuit en chambre d’hôte à 69.90€. Le taux de TVA pour ce type de prestation est de 10%. Mon prix hors taxe est donc de 69.90/(1+10%) soit 63.56€ et le montant de la TVA est de 69.90-3.56=6.34€. Si vous ne suivez pas trop, faites-moi juste confiance, les calculs sont bons et les arrondis faits dans les règles de l’art en vigueur, retenez juste que la TVA est dans ce cas de 6.34€. Raisonnons maintenant dans l’autre sens. Je me dis que je veux récupérer 63.56€ dans ma poche après reversement à l’état de la TVA. Cette TVA sera de 63.56€*10% = 6.36€. Et paf il y a deux centimes d’écart avec le premier calcul alors que nous sommes exactement dans la même situation ! Le grand équilibre est rompu ! La déesse mère de la comptabilité est dans une rage folle ! Vous n’avez pas le choix, il faut faire quelque chose de ces deux centimes, et la fraude fiscale n’est pas une solution agrée dans la maison, même pour deux centimes !
Et comme si les mathématiques ne suffisaient pas à nous rendre la vie impossible, les clients aussi s’y mettent parfois. Lorsque madame a fait la réservation, elle a donné son nom à elle, lorsqu’ils se sont présentés à la porte ils ont donné le nom de monsieur. Et lorsqu’est venu le moment de payer, est sorti d’on ne sait pas où, un chéquier avec un troisième nom ! Mais le grand équilibre veut que chaque écriture ait son double négatif. Alors s’il y a une entrée d’argent dans une rubrique, il faut l’associer avec une sortie du même montant dans sa rubrique jumelle et si les rubriques s’amusent à changer de nom au fil des humeurs du moment, alors le Ying ne retrouve pas le Yang et le monde ne tient plus en équilibre.
Mais ce n’est pas tout ! Moi, naïf que je suis, au début je croyais que lorsqu’un client me payait, j’étais crédité de ce montant. Mais lorsque je me retrouve dans mon logiciel de compta, me voilà à enregistrer d’abord ce montant dans une colonne baptisée « débit ». Et quand je dois payer une facture, me voilà à saisir ce montant dans la colonne crédit. Au début j’en avais la tête à l’envers ! Vous me direz qu’il aurait suffit que j’intervertisse définitivement les deux mots dans mon esprit et l’affaire était jouée. Trop simple ! Parce que lorsque je me retrouve dans mon « journal de banque » ou mon « journal de caisse » tout revient dans le bon sens, enfin dans l’autre sen. Je crédite l’argent que je reçois et je débite l’argent que je dépense !
Et j’ai fini par comprendre… Ce que d’aucun prendrait pour une science austère et malfaisante, un exercice apte à la torture en temps de guerre est en fait un art de vivre des plus altruistes !
Parce que pour comprendre ce monde, il faut toujours se mettre à la place de l’autre. Je présente une facture à mon client ? Il va devoir payer, de son point de vue il est bien débité. Et si j’observe maintenant la scène depuis mon compte en banque, lui va bien recevoir de l’agent et être crédité. CQFD, si l’on prend le point de vue de l’autre tout s’explique et le grand équilibre est respecté !
On pourrait même aller jusqu’à dire que le monde serait certainement meilleur s’il était confié aux comptables… Il faudrait juste accepter d’aller dans des magasins triés par taux de TVA !
Bravo pour ces explications, je crois avoir compris un truc… Enfin …heu …