Les sabots d’Hélène étaient si crottés…

Chacune des questions récurrentes de notre top 10 est un condensé de préjugé. Mais certaines sont beaucoup plus riches que d’autres en stéréotypes . Prenez par exemple cette question : « Et les enfants, ils font comment pour aller à l’école ? ». Elle part à la fois du principe que les déplacements sont complexes dans ce coin du centre de la France du fait d’un réseau de transport inexistant, qu’il y a un climat rigoureux qui intensifié le problème précédemment cité et que peut-être même il n’y a pas d’école du tout dans le secteur ce qui pourrait expliquer l’inculture crasse des campagnes.

 

Souvent nous répondons très sérieusement à la question, pour démentir une à une chacune des opinions préconstruites qui ont sous-tendu cette interrogation. Oui il y a des écoles dans le coin, une école primaire dans le village avec une classe par niveau de la maternelle au CM2 et ce n’est même pas un RPI, rien que des enfants du village parce que oui, même à la campagne les bouzeux que nous sommes envoient leurs enfants à l’école. Et puis il y a aussi au moins 5 collèges et 3 lycées dans un rayon de 15 kilomètres. Pour les études supérieures le département compte deux formations de renommée nationale qui attirent des étudiants de toute la France. A moins d’une heure de voiture et une heure de train on tombe sur une ancienne capitale régionale et son université, à deux heures de distance se sont 3 autres actuelles ou anciennes capitales régionales que l’on trouve avec leurs myriades d’universités et écoles. Y a-t-il vraiment beaucoup d’étudiants qui parviennent à faire leurs études supérieures en continuant à habiter chez papa maman et en faisant moins d’une heure de transport ? Parce que même à Paris où se concentrent pas mal de formations, il faut vraiment habiter au bon endroit pour trouver son bonheur à moins d’une heure de métro hors jours de grèves !

Et puis, chose incroyable, les départements ruraux savent aussi s’organiser en matière de transport ! Lorsque les enfants étaient encore à l’école primaire, c’est dans la cour de la maison que le bus venait les chercher ! Avant d’arriver ici, l’ancienne propriétaire nous avait indiqué que le car scolaire faisait un arrêt à l’Aupenade. Nous avions trouvé cela fort pratique. Mais en arrivant -pendant les vacances de printemps- nous n’avions pas compris où était exactement cet arrêt : pas de casemate, pas de totem pas même une petite affichette matérialisant l’endroit ou le car allait s’arrêter. Nous avions prévu avec Marie-Hélène, de nous poster le jour J sur le bord de la route qui mène à l’Aupenade pour attraper le bus à son passage. Mais le dimanche veille de la rentrée, un monsieur sonne à la porte. Il nous explique : « Je suis Denis, le chauffeur de bus. Je venais me présenter car c’est moi qui passerais prendre les enfants demain. » « Et bien justement, on se demandait où pouvait bien être l’arrêt de bus ? C’est en haut du chemin ? » « Non ! C’est trop dangereux pour les enfants d’attendre au bord de la route et ils peuvent attraper froid. Je viendrais directement les chercher chez vous. En plus il y a de quoi faire demi-tour dans votre cour. Il faudra juste me couper la branche la plus basse de votre sapin sur le bord du chemin sinon elle va me gêner… je serais là à 8h10 ». Jour après jour, semaines après semaines, nous avons pu faire connaissance avec Denis, un gars en or ! Sa tournée quotidienne de porte à porte est un joyeux moment de vie. Tout d’abord chaque enfant a la possibilité, s’il le désire, de venir avec un CD qui sera le fond sonore et musical pour une partie de la semaine. J’aime imaginer Denis devoir se confronter à toutes ses musiques probablement très éloignées de son propre univers musical, mais il n’y a jamais de censure. Et puis chaque arrêt est l’occasion de faire découvrir à Denis et aux autres personnes du car les nouveautés de la maison « ne repart pas tout de suite Denis, je vais chercher le petit chaton qui est arrivé cette semaine, tu vas voir il est trop mignon ! ». Parfois ces arrêts à rallonge mettent en péril le timing de la tournée. Mais il est trop gentil Denis, alors il résiste mollement et d’une voix suppliante ajoute « non Julie… pas aujourd’hui les lapins… tu veux bien ? ». Mais Julie est déjà partie en courant chercher ses lapins ! Nous n’avons pas été plus surpris que cela quand un jour un de nos garçons nous a annoncé que quand il serait grand il voulait être chauffeur de car. Mais pas n’importe quel car, un petit car qui va chercher les enfants chez eux…Bref il voulait être Denis !

Alors oui, il y a des écoles à la campagne, il y a des réseaux de transport pour y aller et même sans cela les parents ont ici inventé le covoiturage bien avant que cela ne devienne une nécessité écologique et non il ne neige pas ici, pas plus qu’à Paris en fait, mais quand il neige ici, à l’inverse de Paris, ça n’empêche personne de se déplacer !

Mais parfois on en à marre d’être rationnels, d’expliquer, de démonter les fausses idées, alors on craque Marie-Hélène et moi, chacun à notre manière. Marie-Hélène sera plutôt du genre à répondre « Vous savez dans les campagnes les enfants ne vont pas à l’école, c’est trop loin. On fait tous l’école à la maison ! » De mon côté je serais plutôt du genre à répondre « Pour aller à l’école ? Et bien nos enfants font comme tous les enfants de la campagne : ils mettent de la paille dans le fond de leurs sabots en bois, ils partent à 6h du matin car l’école la plus proche est à 2 heures à pied et en arrivant dans la salle de classe ils déposent le casse-croute du midi à côté du poêle à bois que le maitre a allumé un peu avant leur arrivée. Parce que vos enfants ne font pas comme ça ? ». CQFD

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

%d blogueurs aiment cette page :