Une vie scénarisée

L’autre jour un ami me demande si, 3 ans après notre changement de vie, la situation correspondait à ce que nous en espérions au départ.

J’ai laissé un blanc, j’ai réfléchi, j’ai pris ma respiration et j’ai dû lui faire un étrange aveu :  « je ne sais pas, je ne me souviens pas de ce que nous espérions au départ… ».

Voila, nous avons tout plaqué il y a 3 ans, nous avons déménagé de plus de 500 km, nous avons laissé derrière nous deux beaux postes salariés, nous avons quitté un engagement bénévole qui nous tenait à cœur, nous nous sommes éloignés de nos amis et de notre famille, nous avons vendu une maison que nous avions entièrement rénovée à notre goût, nous avons divisé nos revenus par 5, et je suis incapable de dire aujourd’hui pourquoi nous avons fait cela, ce que nous en espérions au départ…

Cette question, pourtant, fait partie du top 10 des questions qui nous sont le plus posées en table d’hôte… et je ne sais pas y répondre… Je ne peux pas dire que l’on m’ait pris de cours ; 3 ans pour trouver une réponse et je n’en ai pas …

Et pourtant j’y ai déjà répondu un millier de fois à cette question ! Nos clients veulent du rêve, ils veulent du changement de vie par procuration, ils veulent nous entendre raconter par le menu ce qu’ils n’auront peut-être jamais le courage de faire. Alors pas question de leur répondre « je ne sais pas ! ». En fait il est sûrement là le souci. A trop raconter ce changement de vie, avec Marie-Hélène, nous l’avons entièrement scénarisé. Bien sur le texte n’est pas exactement le même chaque soir ; bien sur il y a des versions longues et des versions courtes suivant comment nous sentons notre auditoire du soir. Mais au fil des soirées un scénario s’est écrit, effaçant imperceptiblement ce qui nous avons réellement motivé au départ ; un scénario de l’histoire correspondant à que les gens aiment entendre. On voulait « du sens », de la « qualité de vie », on voulait fuir l’environnement urbain d’une ville de presque banlieue parisienne, et puis à notre âge on ne pouvait échapper à cette fameuse « crise de la quarantaine ». Voila la réponse qu’attendent nos clients et derrière les mots ils remplissent d’images les pièces manquantes du puzzle. « Surement voulaient ils échapper à une population de banlieue devenue trop métissée et violente, probablement monsieur voulait il passer des heures à bricoler dans la maison, probablement madame rêvait-elle d’avoir du temps pour papoter à l’infini avec des inconnus de passage »…

Mais en termes de « sens » je me retrouve à faire le ménage avec un diplôme d’ingénieur dans la poche, cette « qualité de vie » consiste à bosser 3 fois plus d’heures par semaine pour gagner 5 fois moins et avec beaucoup moins de vacances, la maison est froide l’hiver, l’herbe pousse à vitesse folle au printemps et on ne sait pas si dans 10 ans on aura encore la force de gérer une activité aussi physique…

Un jour avec Marie-Hélène on s’est arrêté un instant et on s’est mis d’accord sur au moins un chapitre du scénario : il fallait que l’on arrête de leur raconter qu’on avait fait ça pour gagner en « qualité de vie » ! Depuis on a retouché un peu l’histoire et on parle à la place de « cadre de vie ». Et là, on ne ment pas, dans ce coin du centre de la France le cadre de vie est indéniablement de qualité ! Mais il reste dans l’histoire un paquet de clichés !… Et je suis toujours aussi incapable de répondre sincèrement à cette question : « qu’espérions-nous de ce changement ? »  . Probablement parce que la réponse la plus juste serait de dire que ce que nous en attendions, c’était un changement, juste un changement, rien d’autre qu’un changement !

Une fois le changement déclenché, quelqu’en aient été les motivations, le reste s’est écrit au fils des jours. Le projet a évolué en le vivant et ce que nous en attendions avec… Ce que je sais dire aujourd’hui c’est que la question de savoir pourquoi nous avons fait cela n’est pas la bonne question, c’est une question sans intérêt car toute tournée vers le passé ; une machine à produire des regrets ! La seule question pertinente est de savoir ce qui, dans ce changement, nous rend heureux aujourd’hui, ce qui nous motive pour demain. Et ce qui est formidable avec cette question c’est que l’on ne peut pas s’en lasser puisqu’aujourd’hui change tous les jours et que demain reste perpétuellement à écrire !

Aujourd’hui, avec Marie-Hélène, nous sommes heureux de travailler ensemble au quotidien, de pouvoir passer une infinité de temps à moins de 10 mètres l’un de l’autre, nous sommes heureux de vivre un peu plus au soleil qu’avant, nous sommes heureux de voir davantage les enfants grandir, nous sommes heureux de faire fonctionner notre affaire suffisamment bien pour qu’elle puisse nous nourrir, nous sommes heureux de vivre dans une carte postale, nous sommes heureux des rencontres surprenantes que nous faisons parfois, nous sommes heureux de vivre en harmonie avec la nature, en harmonie avec nos valeurs… bref nous sommes heureux !

Et quand quelqu’un nous demande pourquoi nous avions voulu changer de vie, parfois on ruse un peu en lui racontant pourquoi nous sommes heureux aujourd’hui mais en mettant toutes les phrases au passé… il est toujours plus simple de réaliser vos rêves quand vos rêves sont juste le récit de votre présent 😉

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

%d blogueurs aiment cette page :